Women speak man, but men don’t speak women

C’est ainsi que Meryl Streep s’est exprimée en 2017, lors d’une émission organisée par le Washington Post autour du film The Post de Steven Spielberg. Et plus précisément : «  It’s like women have learned the language of men… We (women) can speak it… And women speak man, but men don’t speak women. They don’t dream in it. »

Est-ce aux minorités d’apprendre la langue de la majorité ou l’inverse ? J’ai fait mon choix, avec un entraînement en cinq étapes.

  • Connaître le vocabulaire de base est le premier échelon. À l’adolescence, je lisais tellement que mon vocabulaire dépassait celui de mes camarades de classe. J’étais si précise dans le choix des mots qu’il m’arrivait souvent qu’ils me répondent : je n’ai pas compris ce que tu viens de dire. Alors j’ai réduit et adapté mon vocabulaire à mon environnement.  Parce que mon objectif était de communiquer et de maintenir un lien social, c’est ce qui m’importait.
  • Savoir doser la bonne quantité de mots est une deuxième marche. Illustration avec le bavardage des hommes au travail. Contrairement à la légende urbaine, ils parlent beaucoup, des batoilles au pays de Vaud ! Mais attention à bien choisir le sujet : entre les soucis avec l’accueil parascolaire ou la dernière mise à jour réussie de votre Tesla, votre cœur balance peut-être, mais pas le leur. Moins drôle, le mansplaining aussi génère beaucoup de verbiage… inutile… Adapter sa voilure au groupe nécessite d’être attentif. Gare à ses propres centres d’intérêt, surtout s’ils sont aux antipodes de la majorité. L’exercice peut être plus difficile que le précédent. Normal, on a atteint le niveau 2.
  • Au troisième niveau, on attaque le patois local. C’est la maîtrise de la langue, mais pas au sens littéraire : son usage réel, les détournements de mots, ceux à la mode, sauce novlangue ou autre. Ceux que personne ne sait vraiment expliquer, les acronymes qui n’existent nulle part ailleurs : mais si tu ne les connais pas, tu n’es pas dans le coup ! Différents d’un groupe à l’autre. Qui peuvent créer des conflits lorsqu’un mot prend une signification autre entre deux services d’une même organisation (si, si, c’est du vécu). Pas d’autres choix que d’enfiler une tenue d’ethnologue pour se construire son dictionnaire au fil du temps.
  • Au quatrième niveau, on travaille son jeu d’acteur. Le mot tout nu n’exprime pas grand-chose. Il est nécessaire de l’habiller dans le style local, un mixte entre l’éthos et le pathos. De régler le volume sonore selon la composition du groupe. Si la majorité déploie ses mots comme des soldats pour encercler l’auditoire et imposer ses opinions, s’en inspirer. Grandiloquence, humour de pacotille, concepts vagues assénés de façon enthousiaste… Observez et imitez à votre sauce, mais restez vous-mêmes… N’oubliez pas, tout ceci n’est qu’un jeu, alors amusez-vous !

Et les émotions, souvent silencieuses. Ah, je vous vois venir, les femmes sont tellement émotionnelles, il leur arrive même de pleurer au bureau. Mais quelle émotivité dites donc ! Je suis choquée !

En trente ans d’activité professionnelle dans un milieu principalement masculin, je peux vous assurer que les larmes ne sont pas l’apanage des femmes. J’en ai vu des hommes pleurer au bureau. Parfois, les larmes voilent le regard un court instant, mais souvent, elles coulent au-dedans. C’est poignant, cette douleur et cette injonction qui demeure : un homme, ça ne pleure pas.

  • Au dernier niveau, s’interroger. Quelle intégration je vise, dans quel but ? Est-ce que ma différence est un étendard à porter, ou je m’adapte pour transformer les mentalités de l’intérieur. C’est personnel, chacun fait comme il veut, ou comme il peut.

Si des mots bouillonnent à l’intérieur et que votre message compte pour vous, alors… le dire ! Si possible en le préparant dans la langue de l’autre, histoire de ne pas trop parler dans le vide.

Auteure : Nathalie Stockhammer pour le Cabinet Hi-Mind, le 17.05.24